La République démocratique du Congo retourne aux urnes le 20 décembre. À Kinshasa, capitale surpeuplée d’un des plus vastes pays du continent africain, les électeurs assistent à une campagne qui envahit massivement l’espace public. Partagés entre la dénonciation de la pauvreté et les craintes liées à la guerre dans l’est du pays, beaucoup attendent un sauveur.
Des grandes avenues qui étouffent dans la chaleur et les embouteillages jusqu’aux petites rues verdoyantes de Kinshasa, difficile d’échapper à la déferlante d’affiches électorales qui recouvrent les murs de la capitale congolaise.
Déclinés en français ou en lingala – l’une des quatre langues nationales de la République démocratique du Congo –, d’immenses posters avec le visage impassible du président sortant, Félix Tshisekedi, se succèdent sur les grandes artères. “Fatshi” écrase visuellement la concurrence.
Quand ils se réclament de “l’Union sacrée”, la grande coalition du président, les 25 000 candidats aux postes de députés nationaux comme les 49 000 candidats à ceux de députés provinciaux font figurer le visage du président en médaillon et rivalisent de formules chocs pour mettre en valeur leur personnalité et leur capacité à résoudre tous les maux du pays.
Dérive du pays et craintes de la guerre
Croisé près d’un marché de la commune de Bandalungwa, Alexis, un informaticien d’une soixantaine d’années, peste contre la pauvreté extrême avec laquelle la plupart de ses compatriotes se débattent. “Ce pays a des potentialités dans son sol et son sous-sol mais les Congolais meurent de faim. Les gens sont mal payés, il n’y a pas de travail. Il n’y a rien”, martèle-t-il avec colère. “Ça me fait mal. Il faut migrer et aller en Europe pour échapper à la misère, alors que le pays est potentiellement riche.”
Pour lui, la raison du chaos social est à chercher du côté de la médiocrité des gouvernants successifs, responsables à ses yeux des maux du pays. “Depuis Joseph Kasavubu [le premier président du pays, entre 1960 et 1965, NDLR], le Congo n’a jamais connu un président qui soit un universitaire ou un intellectuel. Mobutu [président de 1965 à 1997, NDLR] n’avait pas fait d’études. On n’a pas eu de dirigeants avec une culture de haut niveau. C’est grave pour un pays de cette étendue [égale aux deux tiers de l’Union européenne, NDLR] et avec une telle population [95 millions d’habitants, NDLR]. Aujourd’hui, les gens vont voter parce qu’on leur a donné un tee-shirt.”
Benji, un étudiant de 21 ans, s’est approché pour écouter la conversation. Posément, il affirme quant à lui que la principale difficulté du pays, c’est la guerre qui a repris dans l’Est fin 2021. La rébellion du M23, soutenue par le Rwanda selon l’ONU et plusieurs pays occidentaux dont la France et les États-Unis, menace désormais la grande ville de Goma, à une vingtaine de kilomètres de laquelle des combats ont lieu avec des troupes au sol, de l’artillerie et des avions de chasse. “La première mesure à prendre, c’est d’en finir avec la guerre dans l’Est. Nos concitoyens ont suffisamment été tués, nous avons connu les affres de la guerre et nous attendons du nouveau président que les armes se taisent”, expose-t-il.
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Même si Kinshasa est distante de 2 000 km de Goma et des drames qui ensanglantent le Nord-Kivu, beaucoup de Congolais restent traumatisés par les première et deuxième guerres du Congo, qui entre 1997 et 2002 impliquèrent neuf armées africaines et firent entre trois et cinq millions de morts, selon les estimations de l’International Rescue Committee (IRC).
Rencontré sur les berges du fleuve, d’où l’on aperçoit nettement Brazzaville, la capitale de l’autre Congo, Serge craint lui aussi la violence. Celle qui déchire l’Afrique centrale depuis tant d’années, mais aussi les conflits internationaux qui rythment l’actualité.
Plongé dans la lecture du roman de Pierre Boulle “Le Pont de la rivière Kwaï”, le jeune ingénieur estime que “le prochain président doit avoir une vision sociale mais il doit aussi mettre l’accent sur la défense. On voit ce qu’il se passe en Russie ou en Israël… Les États africains doivent maintenant investir dans la défense.”
Une situation économique catastrophique
À un grand carrefour de la capitale congolaise – avec 17 millions d’habitants, Kinshasa est la troisième métropole d’Afrique –, des motos, des petits taxis Toyota jaunes (avec volant à droite) ou des camions transportant d’énormes grumes de bois venues de la forêt s’entremêlent dans un vacarme assourdissant. Charli arrange son stand de tee-shirts, de casquettes et d’autres accessoires au milieu de la mêlée et se plaint, elle, de la pauvreté, des taxes et des mœurs politiques et commerciales qui règnent en République démocratique du Congo.
“Chez nous, c’est surtout les hommes politiques qui peuvent changer les choses. Par exemple, nous les détaillants, on achète là où c’est moins cher, et [les grossistes], ils sont associés avec des hommes politiques. Ils fixent ensemble des prix exorbitants. Et puis il y a la question du pouvoir d’achat. Si les gens ne travaillent pas, ils n’auront pas moyen de s’acheter quelque chose”, explique cette commerçante d’une quarantaine d’années.
De son côté, Rachel, qui vend des légumes au marché, affirme que le prochain président doit aussi s’attaquer au problème de la monnaie. “Nous voulons que la vie soit moins chère, que la monnaie ne se déprécie pas face au dollar. Plus le dollar prend de la valeur sur le franc [un franc congolais vaut 0,00034 euro, NDLR], plus les produits que nous vendons deviennent chers”, explique-t-elle. En République démocratique du Congo, au quotidien, les achats se règlent en dollars ou en francs congolais. Cette dernière monnaie a perdu 25 % de sa valeur en un an et “l’économie est dollarisée à 95 %”, selon l’économiste Noël Tshiani.
Conflit dans l’Est, pauvreté, éducation, santé, monnaie… Les attentes des Congolais sont immenses à l’occasion de l’élection présidentielle du 20 décembre. Beaucoup espèrent que le futur chef de l’État fera des miracles, tel un messie capable d’apporter des solutions à tous les maux de l’existence.
Espoirs et désillusions
Pour Serge, le jeune ingénieur aimant flâner sur les berges du fleuve Congo, ces attentes sont disproportionnées. “C’est notre culture. Le papa a toutes les solutions et on voit le chef de l’État comme un papa. On lui en demande beaucoup.”
Prince, un étudiant venu lui aussi se détendre au bord de l’eau, dit que “les élections, ça ne m’intéresse pas tant que ça. Je ne suis pas très intéressé par cette campagne. Je pense que ceux qui ont postulé ne sont pas sincères. Je serais plus intéressé si l’intérêt était plus collectif et moins personnel.”
Catherine, une retraitée qui finit son marché à l’ombre de la paroisse Saint-Charles-Lwanga, assure qu’elle n’ira pas voter. “Ça ne sert à rien. C’est ma conviction. Je ne veux pas voter, même pour un député. Tout ce monde va se remplir les poches et c’est tout. Il faut trouver à manger au moins une fois par jour. S’il n’y a pas, il n’y a pas. Mais on souffre.”
Sara souhaiterait pouvoir interpeller directement le prochain président pour lui dire sa colère devant l’océan de pauvreté dans lequel est plongé son pays. La jeune femme lui dirait ceci : “Monsieur le président, les gens souffrent, même pour trouver à manger. Les petits quémandent sur la route, les gens ne font que mendier, ce n’est pas intéressant. Notre pays est riche, mais où est la richesse ? Les gens doivent manger à leur faim. Il y a de la malnutrition, beaucoup de problèmes de santé. Si on a des solutions à ça, on aura un Congo chic.”
AVEC France 24