En Iran, plusieurs établissements scolaires de jeunes filles ont été ciblés ce week-end et lundi par des intoxications au gaz. Des parents d’élèves ont manifesté, à Téhéran notamment. La colère se répand pour demander des comptes aux autorités et certains envisagent de ne plus envoyer leurs enfants à l’école.
“Je retire ma fille de l’école jusqu’à nouvel ordre”. Pour ce père de famille à Téhéran, les nouveaux cas d’empoisonnement d’écolières iraniennes ce week-end, ont été ceux de trop. Sur les réseaux sociaux, il dit ne plus faire confiance au personnel scolaire. “L’enseignante de ma fille continue de faire cours, comme si de rien n’était, alors que 90 % des élèves de sa classe ne viennent plus à l’école”.
À Chiraz, dans le sud-ouest du pays, la même colère a saisi Shirine*, 42 ans. Elle a appris dimanche 5 mars que des écolières de sa ville, pour la première fois, avaient été intoxiquées par ce mystérieux gaz. Paniquée, elle est allée chercher son fils en urgence à l’école primaire, où elle ne le considère plus en sécurité.
Les intoxications en chaîne d’écolières et d’étudiantes iraniennes ont débuté il y a plus de trois mois. Mais depuis le 28 février, ces empoisonnements ont atteint des proportions spectaculaires sur l’ensemble du territoire, avec des milliers d’élèves affectés par le mystérieux gaz qui se répand dans les cours d’école, d’après des décomptes citoyens. Au total, plusieurs centaines de cas ont été signalés dans plus de 52 établissements depuis la fin novembre, selon le décompte officiel des autorités.
Jusqu’ici, seuls des établissements de filles ont été ciblés. D’abord cette odeur suspecte de “poisson pourri”, suivie de nausées, de maux de tête, de difficulté à respirer et de chutes de tension… les symptômes sont à chaque fois les mêmes. Ils ont été de nouveau ressentis lundi 6 mars par des élèves à Babol, Marand, Semnan, mais aussi Neyshabour et dans d’autres villes iraniennes du nord du pays, d’après la BBC. Les écolières n’ont pas été épargnées samedi et dimanche avec une vingtaine de vidéos – non vérifiées – alertant sur des établissements intoxiqués. D’après des médias officiels iraniens, ces empoisonnements sont confirmés à Abhar (ouest), Ahvaz (sud-ouest), Zanjan (ouest), Mashhad (nord-est), Chiraz (sud) et d’Ispahan (centre).
Les autorités accusées de laisser faire
Alors que les premiers cas avaient été signalés dès novembre, les autorités iraniennes n’ont promis d’enquêter sur le sujet que la semaine dernière. Un retard que nombre de parents ne comprennent pas.
“Pourquoi faites-vous cela à nos enfants ?”, hurle une mère de famille exaspérée, dans une vidéo largement relayée sur les réseaux sociaux, tandis qu’une ambulance est arrêtée devant l’école Ketabchi de Kashan (centre) visée par une attaque au gaz le 5 mars. Dans plusieurs villes, des parents d’élèves se sont mobilisés, reprochant aux autorités leur inaction. “À vous, ceux qui restent assis ! Le prochain empoisonné sera des vôtres !”, ont-ils ainsi scandé, réunis devant un bâtiment du ministère de l’Éducation à Téhéran le 4 mars.
“Comment se fait-il que les auteurs de ces empoisonnements agissent en toute impunité depuis le mois de novembre ? En Iran, chaque école comprend des Herassat (service de sécurité intégré). Et depuis que les jeunes filles se sont dévoilées, dans certains établissements, des caméras de sécurité ont été installées”, rappelle la spécialiste de l’Iran Azadeh Kian, professeure de sociologie politique à l’Université de Paris-Cité.
Pour la chercheuse, “le timing de cette vague d’intoxications interroge”, puisqu’elle intervient juste après la série de manifestations et d’actes de désobéissance civile dans les écoles de jeunes Iraniennes, en protestation à la mort de Mahsa Amini, sous les coups de la police des mœurs.
Selon Azadeh Kian, l’État iranien aurait les moyens d’arrêter les groupes extrémistes qui agissent ainsi. “Ils ont carte blanche, tout comme la police des mœurs avait carte blanche pour violenter les femmes”, estime-t-elle, faisant référence à la mort de Mahsa Amini.
Des parents empêchés de récupérer leurs enfants
Le guide suprême, resté mutique sur le sujet jusqu’à présent, s’est finalement exprimé lundi 6 mars. Il a qualifié l’empoisonnement des écolières iraniennes de crime “impardonnable”, promettant une punition sévère pour “les auteurs de ce crime”. Pourtant, aucun coupable n’a été désigné et aucune précision n’a été donnée sur l’origine des empoisonnements, ni sur les substances utilisées.
Face au manque d’informations, nombre de parents d’élèves, inquiets, accourent vers le portail de l’établissement scolaire de leur enfant, apprenant que l’école ou le lycée a été pris pour cible. Mais ils trouvent porte close. Sur une vidéo du 5 mars, on aperçoit un père de famille désespéré, tenter d’enjamber la grille pour récupérer sa fille, enfermée dans l’école.
Dans la ville de Hamedan, un directeur d’école a voulu garder les élèves à l’intérieur par la force, alors que des parents s’étaient rassemblés devant l’entrée. Il a dit aux élèves : “Retournez en cours, fermez les portes et les fenêtres ; l’odeur vient des radiateurs”, rapporte 1500 Tasvir, un média en ligne qui recense les violations des droits humains.
Des téléphones confisqués, un journaliste arrêté
D’autres éléments viennent accabler les autorités iraniennes. Tout du moins leur gestion des évènements. Sur un lit d’hôpital, reliée à un masque à oxygène, une élève témoigne le visage flouté : “Nous avons prévenu la professeure, nous lui avons dit qu’il y avait une odeur étrange. Elle a répondu : ‘c’est le radiateur'”.
Une autre très jeune écolière, cette fois à Mashhad, raconte dans une vidéo s’être évanouie après avoir inhalé le gaz. “Le directeur de l’école a dit que la mauvaise odeur était due à un problème d’égouts dans le quartier”, raconte-t-elle, ajoutant que les élèves ont été empêchés de sortir dans la cour par mesure de sécurité. Mais ils ont commencé à se sentir mal dans la classe. “Mes amis m’ont extraite de force, et m’ont mouillé le visage dans la cour, car je me sentais mal. C’est là que je me suis évanouie”.
“Après avoir nié l’existence de ces empoisonnements, les autorités tentent maintenant de limiter les informations qui permettraient de saisir l’ampleur du phénomène”, affirme Azadeh Kian. Ainsi, le journaliste qui avait suivi pour le site Qomnews l’affaire des empoisonnements dans la ville sainte de Qom dès la première intoxication fin novembre en a payé les frais. Ali Pourtabatabaei a été arrêté par les autorités lundi, a révélé le quotidien réformateur Shargh.
* Le prénom a été changé
AVEC FRANCE 24