Dans les collines verdoyantes du Rwanda, derrière les discours de croissance verte et de développement durable se cache une réalité aussi brutale qu’invisible: Celle de l’exploitation minière illégale. Alimentée par la pauvreté, tolérée par les silences officiels et orchestrée dans l’ombre par des réseaux bien organisés, elle saigne le pays, tue ses enfants, détruit son écosystème et alimente l’industrie mondiale de l’électronique. Plongée au cœur d’un enfer souterrain où la quête de survie côtoie le cynisme institutionnel et la crise climatique.
À l’aube, dans la brume du district de Rutsiro, des silhouettes glissent entre les eucalyptus. Ce sont des hommes, souvent très jeunes, armés de pioches, de sacs usés et de lampes de fortune. Ils s’enfoncent dans des tunnels clandestins pour extraire du coltan, du wolfram ou de la cassitérite ces précieux minerais qui alimentent nos smartphones, nos ordinateurs, nos batteries.
Claude Habyarimana, 26 ans, gratte la roche depuis cinq ans : « Nous savons que c’est dangereux, mais nous n’avons pas le choix. Des gens meurent ici, ensevelis. Moi, je veux juste ramener de quoi manger. »
Selon le Rwanda Mining Board (RMB), on compterait environ 3 000 sites d’exploitation illégale à travers le pays, employant plus de 10 000 personnes dans des conditions indignes, sans sécurité ni couverture médicale. Ces chiffres officiels peinent à refléter l’ampleur d’un phénomène tentaculaire.
Quand la mine devient tombe !
Dans le sud du pays, dans le district de Kamonyi, les mines illégales ne font pas que voler la santé elles volent des vies.
Judith Kagaju, mère de quatres enfants, a perdu son fils de 16 ans dans une galerie qui s’est effondrée. « Il allait parfois à la mine pour gagner un peu d’argent. On ne voulait pas, mais on n’avait rien pour l’en empêcher. Ce jour-là, il n’est jamais revenu.», raconte-t-elle.
Son corps a été extrait à la hâte et transporté sur une civière de fortune. Elle se souvient: « Quand je l’ai vu, j’ai perdu connaissance. J’ai dû être hospitalisée. La douleur m’a coupée du monde.»
Comme lui, des dizaines d’enfants travaillent dans ces sites pour aider leur famille à survivre, malgré les lois interdisant strictement le travail des mineurs au Rwanda.
Au-delà du drame humain, la mine illégale dévaste la nature. À proximité du parc national de Nyungwe, un joyau de biodiversité, la forêt recule sous les assauts des pioches et des dynamites artisanales.
« Chaque site est une plaie ouverte dans la forêt, on détourne des rivières, on pollue au mercure, on chasse des espèces endémiques.», affirme un ingénieur et expert dans le domaine de l’Environnement, sous couvert d’anonymat.
Les images satellites confirment cette hémorragie verte: dans les zones minières artisanales, la déforestation progresse à un rythme alarmant de 3,1 % par an, contre une moyenne nationale de 1,2 %.
Au-dèla de cela, on découvre un sol toxique et l’eau empoisonnée. Comme à Burera, dans le nord du pays, Nyirahabimana Alphonsine raconte:« L’eau est devenue trouble. Mes enfants tombent malades. Ils toussent, ont la peau irritée et des maux de ventre constants avec diarrhées répétées. »
Les mineurs, eux inhalent chaque jour des particules métalliques, sans masques, ni gants. Une étude de l’Université du Rwanda (2022) révèle que 67 % des mineurs artisanaux présentent des pathologies respiratoires sévères, souvent non soignées: Silicose, troubles auditifs et infections cutanées.
Les conséquences de cette industrie clandestine dépassent les frontières : elles touchent au climat mondial. La déforestation de 5 000 hectares en 2023, due aux mines illégales, a relâché quelque 750 000 tonnes de CO₂ dans l’atmosphère, estime Evariste Maniriho, climatologue indépendant.
Chaque hectare de forêt tropicale détruit libère 150 tonnes de carbone. Et l’érosion des sols empêche la nature de se régénérer. On détruit deux fois : par la coupe et par l’empêchement de la repousse.
Des responsables invisibles, corruption et complicité locale
Mais qui orchestre tout cela ? Car derrière chaque mine illégale, il y a un employeur, un financier et un acheteur. Pourtant, les familles endeuillées n’ont personne à qui demander des comptes.
Judith Kagaju, dont le fils est mort dans une galerie, affirme : « Personne ne s’est jamais présenté comme l’employeur. Pourtant, il y a quelqu’un qui paye. Quelqu’un qui vend. Quelqu’un qui s’enrichit. »
A Kamonyi, un site illégal opère à découvert, entre deux mines parfaitement légales. « Tout le monde sait qu’ils sont là. Les autorités, la police, les voisins. Mais personne ne les dérange », témoigne un habitant.
Dans un bar voisin, des clients racontent comment un ancien agent administratif est devenu riche en quelques mois après avoir pris le contrôle de sites miniers. D’autres évoquent l’arrestation récente d’un haut responsable de la police pour corruption liée à l’exploitation illégale.
La porosité entre réseaux légaux et illégaux est telle que les minerais extraits illégalement finissent dans les circuits officiels. « Des commerçants achètent ces minerais et les font passer pour des produits légaux grâce aux étiquettes minérales officielles », confie un cadre d’une entreprise minière.
Une chaîne de blanchiment bien rodée
Les tags miniers, censés garantir la traçabilité des minerais, deviennent des outils de blanchiment. Les sous-traitants, opérant sous couvert de compagnies licenciées, se fournissent auprès de mineurs illégaux. Les sacs sont scellés avec des étiquettes officielles et les minerais prennent le chemin des comptoirs légaux, invérifiables une fois mélangés.
Un agent minier nous explique : « Il y a même des comptoirs qui fonctionnent sans licences valides, mais personne ne les inquiète. Les agents de l’État ferment les yeux car certains intérêts privés y sont liés. »
Cela a eu des conséquences sur des entreprises légales : Les sociétés minières dûment enregistrées, comme SRMC Ltd, peinent à suivre. « Nos employés partent pour les mines illégales car ils y gagnent plus en moins de temps, même si c’est risqué », explique Dieudonné Nshimiyimana, un responsable d’exploitation.
Emmanuel Kinyogote, représentant des mineurs dans le sud, renchérit : « Les ‘Abahebyi’, comme on les appelle ici, ruinent tout. Ils envahissent les mines fermées, bafouent les règles de sécurité et mettent en péril les entreprises honnêtes. »
Des opérations de police inefficaces, des vies en peril
En novembre 2024, la Police Nationale du Rwanda a arrêté 51 personnes dans des opérations contre les mines illégales, 700 kilos de minerais ont été saisis.
Mais ces arrestations ne ciblent que les exécutants. Aucun acheteur, aucun transporteur, aucun opérateur haut placé n’a été inquiété. La chaîne logistique et financière reste intacte.
Pourquoi autant de jeunes risquent-ils leur vie dans ces mines ? Parce qu’ils n’ont rien d’autre à faire.
Dans certaines régions, jusqu’à 70 % des familles dépendent des mines pour vivre. Le travail agricole n’attire plus une jeunesse qui veut s’émanciper, aider ses proches ou simplement survivre.
Le système de sous-traitance, les failles dans la traçabilité, la corruption locale et l’absence de contrôle favorisent un équilibre dangereux où légalité et illégalité s’entremêlent.
Interrogé sur les pratiques illégales, Rwanda Mining, Petroleum and Gas Board (RMB) a refusé de commenter.
Rwanda Environment Management Authority (REMA) de son côté, reconnaît son impuissance: «Nous avons une trentaine d’agents pour surveiller tout le territoire national. C’est largement insuffisant. »
Des vies sacrifiées pour notre confort
Au fond d’un puits, Claude gratte encore la roche. Il espère quelques grammes de coltan. Il ne sait pas que ce minerai servira à produire une puce électronique. Il ignore que la poussière qu’il inhale l’empoisonne lentement. Il veut juste survivre.
C’est là tout le paradoxe. L’exploitation minière illégale au Rwanda n’est pas un fait divers local. Elle est le miroir d’un monde où l’urgence sociale d’un pays pauvre croise la cupidité des marchés mondiaux. Où la détresse individuelle alimente le confort technologique global. Où les entrailles de la terre hurlent en silence ce qui est à la base du changement climatique au Rwanda avec des effects visibles et devraient s’intensifier dans les années à venir.
L’augmentation des phénomènes climatiques extrêmes comme inondations et glissements de terrain ces dernières années surtout liés à exploitation minière illégale et des pluies diluviennes ont provoqué des inondations meurtrières, notamment dans les districts du nord et de l’ouest (Rubavu, Nyabihu, Rutsiro…). En mai 2023, plus de 130 personnes sont mortes à cause des pluies torrentielles.
La Banque mondiale estime que 44,9 % de la population rwandaise vit sous le seuil de pauvreté. Tant que des alternatives économiques viables accès au crédit, formations, emplois verts ne seront pas proposées, les mines illégales resteront l’un de recours désespéré.
Le Rwanda possède de riches ressources minérales: OR, Coltan, Cassitérite et Terres Rares. Le secteur a généré 1,1 milliard de dollars en exportations en 2023. Mais cette manne repose en partie sur une chaîne viciée.
AVEC NIKUZE NKUSI Diane