Quatre jours après les tremblements de terre meurtriers du sud de la Turquie, la solidarité prend forme. À Gaziantep, Abdelaziz, Ahmed Ali, Yassir, Mustafa, tous étudiants étrangers, multiplient les maraudes pour venir en aide aux rescapés. Un devoir pour eux qui sont tombés amoureux du pays. Reportage.
“C’est mon devoir d’aider les autres dans cette épreuve”. Ahmed Ali n’a pas eu besoin de réfléchir. Lorsque la terre a tremblé à Gaziantep le 6 février, l’Égyptien de 25 ans, fraîchement diplômé en ingénierie mécanique, s’est immédiatement mobilisé avec ses amis, étudiants étrangers comme lui. Leur but ? Apporter de l’aide à ceux qui n’avaient plus rien.
“Certains viennent d’Égypte, d’autres de Jordanie, de Syrie ou d’Irak, raconte Abdelaziz, étudiant palestinien en ingénierie mécanique de 23 ans. Après le tremblement de terre, nous avons décidé d’aider tout le monde, qu’ils soient Turcs ou Arabes, peu importe”.
Les maraudes ont commencé dès le premier jour. Avec Yassir, l’Irakien, et Mustapha, l’étudiant dentiste syrien rencontrés dans le refuge de l’université de Gaziantep, ils commencent à récupérer des denrées alimentaires. Certaines qu’ils financent, d’autres données par des commerçants ou par les autorités turques.
“Les restaurants nous fournissent de la soupe gratuitement, raconte Abdelaziz. Nous faisons des tournées en fonction de ce qu’on nous donne, parfois tous les jours”.
“Chorba ! Chorba !”
Aujourd’hui, la petite bande est accompagnée d’amis turcs de Yassir : Halil et sa fiancée Güler. Avec deux voitures, ils commencent à sillonner Gaziantep. Premier arrêt à l’école privée irakienne Dar Alsalam, qui accueille 25 familles.
Les étudiants s’activent. Il faut servir la soupe encore toute chaude. Moustafa et Yassir préparent les récipients en carton, Ahmed Ali les tend à Abdelaziz qui les remplit avec son broc en plastique rose. Le comptoir en bois, à l’accueil de l’école, est couvert de bols de soupe.
“Chorba ! Chorba !”, s’écrit Halil en tapant à quelques portes du rez-de-chaussée.
Des enfants puis des parents apparaissent, pour disparaître presque aussi rapidement avec le précieux bouillon.
“Je suis tout seul ici. Il faut un peu d’humanité. Il y a beaucoup de femmes et d’enfants qui ont besoin de notre aide”, lance Abdelaziz installé depuis cinq ans à Gaziantep. Sa famille devait venir lui rendre visite de Jordanie lorsque la terre a tremblé.
Des dons publics mais aussi financés par eux
Il est temps de remballer. La soupe ne doit surtout pas refroidir. Parcs, halls d’immeubles intacts, un orphelinat d’enfants syriens… les bénévoles ont du pain sur la planche. Dans la berline allemande noire, Halil et Güler se taquinent entre deux appels à des sinistrés.
“Nous avons des listes de personnes que nous appelons pour vérifier leurs besoins et ensuite nous allons leur déposer”, explique la professeure de mathématique, tout en donnant à Halil un nouveau numéro de téléphone.
Pâtes, couches pour bébé, couvertures… les familles manquent de tout. Les deux équipages s’arrêtent au Centre de congrès de la ville pour se fournir en produits financés par l’État. “Une partie de l’aide est financée par nous mais le reste vient du gouvernement”, précise Abdelaziz dont le moindre sou est utilisé à ce dessein.
“Ce pays m’a donné bien plus que je n’espérais”, poursuit Ahmed Ali qui espérait bientôt entrer sur le marché du travail. “J’ai mes amis, j’ai étudié ici, j’ai été diplômé ici, j’ai vécu les plus beaux jours de ma vie à Gaziantep. C’est mon devoir de lui donner en retour”.
Pour Abdelaziz, la tâche est d’autant plus aisée qu’il connaît la ville comme sa poche : “Je suis là depuis cinq ans, je sais où sont les quartiers les plus pauvres. Nous distribuons à ceux qui en ont besoin jusque dans les petits villages”.
Des heures à sillonner Gaziantep et les villages alentour
Le résumé de la semaineFrance 24 vous propose de revenir sur les actualités qui ont marqué la semaine
Les coffres des deux voitures débordent désormais. Il est temps d’aller plus loin, à la rencontre des villages sinistrés.
Sur la route, l’ambiance est bon enfant. “Nous n’avions pas prévu tout cela. Nous nous sommes rencontrés au refuge. J’ai rencontré Halil seulement aujourd’hui, rappelle Ahmed Ali. On travaille ensemble pour aider les autres. Nous sommes comme une famille en aidant les autres. Ça nous fait nous sentir tellement bien”.
Abdelaziz acquiesce. “C’est un sentiment extraordinaire de savoir que l’on peut aider”. Une façon aussi de tenter d’oublier la peur. “C’est incroyable ce qui s’est passé. C’était très dur. Nous avons toujours peur, c’est pour cela que nous ne voulons pas rentrer chez nous. Nous habitons dans le musée situé à l’intérieur de l’université de Gaziantep. Nous ne sommes pas retournés chez nous depuis quatre jours”.
“Je veux rester en Turquie”
Les traits des étudiants sont de plus en plus tirés. Les nuit sont courtes au refuge de l’université, où vivent désormais, traumatisés. Leurs appartements sont pour eux associés à cette nuit sinistre. “J’allais dormir quand tout a commencé à bouger. Le lit a glissé littéralement de 50 cm avec moi, se souvient Ahmed Ali en précisant qu’il est immédiatement sorti. Puis, je me suis souvenu que j’avais un ami qui habitait au 4e étage. Je suis allé le chercher. Après, je ne suis pas retourné chez moi avant le lendemain pour récupérer mes affaires. Je suis parti parce que je ne sais pas si c’est sécurisé”.
Pour autant, ils n’envisagent pas de rentrer dans leurs pays d’origine. “Je veux rester en Turquie mais seulement si c’est sécurisé. J’attends les annonces du gouvernement, précise Abdelaziz. Je suis tombé amoureux de cette ville, je ne veux pas partir”.
FRANCE 24