Engagé dans la dernière ligne droite de la campagne présidentielle américaine, le candidat républicain Donald Trump a multiplié ces dernières semaines les outrances et les déclarations injurieuses contre sa rivale démocrate Kamala Harris. Une surenchère soutenue par la base du milliardaire new-yorkais qui pourrait toutefois rebuter les électeurs encore indécis.
C’est une polémique dont Donald Trump se serait bien passé. À une semaine de l’élection présidentielle aux États-Unis et deux jours après son meeting au Madison Square Garden de New York, le candidat républicain est encore obligé de s’exprimer sur la polémique suscitée par les propos tenus par un humoriste à l’égard du territoire américain de Porto Rico.
Chargé avec d’autres de chauffer la salle avant l’arrivée sur scène de Donald Trump dimanche 27 octobre, Tony Hinchcliffe a comparé Porto Rico à “une île flottante d’ordures au milieu de l’océan”, provoquant un tollé et contraignant de nombreux responsables républicains à prendre leurs distances. “Cette plaisanterie ne reflète pas l’opinion du président” Trump, a même assuré une porte-parole du candidat, cherchant à limiter d’éventuelles pertes chez les quelque six millions d’électeurs portoricains vivant aux États-Unis.
L’ancien président américain a préféré minimiser le problème. “Personne n’avait jamais vu une chose comparable à ce qui s’est produit lors de cette soirée au Madison Square Garden”, a-t-il déclaré, mardi 29 octobre, depuis sa résidence en Floride. “C’était comme une fête de l’amour, une absolue fête de l’amour.”
Porto Rico, une “île flottante d’ordures” qui pourrait secouer la course à la Maison Blanche
Outre les propos racistes sur Porto Rico, le meeting de New York a été marqué par de nombreuses insultes personnelles lancées par Donald Trump lui-même contre la candidate démocrate Kamala Harris, une vice-présidente “incompétente” et “idiote”, qu’il accuse d’avoir ouvert les vannes de l’Amérique pour faire entrer des millions de migrants “criminels”.
“Cette personne ne peut pas être présidente. Elle est trop faible et trop bête pour représenter l’Amérique sur la scène internationale”, avait-il déjà déclaré la veille dans la ville de Novi, dans le Michigan, ajoutant même que c’était une “droguée”.
“Tu es une vice-présidente de merde, la pire vice-présidente, Kamala, tu es virée. Dégage d’ici, fous l’camp”, avait-il aussi affirmé le 19 octobre à Latrobe, en Pennsylvanie.
“Stratégie populiste” comparable à celles de Modi, Orban ou Erdogan
Une rhétorique désormais habituelle pour celui qui qualifie aussi sa rivale de “marxiste”, de “communiste” ou de “fasciste” et qui, dans les dernières semaines de campagne, semble n’avoir plus aucune limite dans son discours xénophobe, accusant les migrants d'”empoisonner le sang du pays” ou de “manger” des animaux domestiques.
De son côté, Kamala Harris ne manque jamais une occasion de mettre en doute les capacités mentales et morales du milliardaire républicain. “Donald Trump ne devrait plus jamais se tenir derrière le sceau du président des États-Unis. Il n’a pas mérité ce droit”, a-t-elle répondu lors d’une interview sur la chaîne MSNBC.
“Même si Donald Trump a toujours eu des propos insultants vis-à-vis de ses adversaires, il y a clairement une radicalisation de son discours par rapport aux campagnes précédentes, qui consiste à fabriquer et à combattre des ennemis de l’intérieur”, explique Jérôme Viala-Gaudefroy, docteur en civilisation américaine, professeur à Sciences Po Saint-Germain-en-Laye et auteur du livre “Les Mots de Trump” (éd. Dalloz, 2024).
Un article publié samedi sur le site The Conversation par deux chercheurs américains en sciences politiques de l’Université de Californie à Los Angeles (UCLA) détaille cette évolution. Après analyse de l’ensemble des discours de Donald Trump entre 2015 et 2024, Nikita Savin et Daniel Treisman affirment que l’utilisation faite par Donald Trump d’un langage violent “dépasse celle de presque tous les autres politiciens démocratiques que nous avons examinés”.
“Ses références répétées à des ‘meurtriers, violeurs et voyous’ brossent le tableau d’une nation assiégée, exacerbant l’anxiété de ses partisans. Dans le même temps, il se présente comme un leader fort, capable de confronter ces menaces”, écrivent-ils.
“C’est une stratégie populiste qui consiste à dire qu’il est seul légitime à gouverner et que tous les autres sont illégitimes et dangereux. C’est une rhétorique comparable à celles de Narendra Modi en Inde, de Viktor Orban en Hongrie ou de Recep Tayip Erdogan en Turquie”, ajoute le politologue Yascha Mounk, professeur de théorie politique à l’université Harvard et auteur du livre “Le Piège de l’identité” (éd. de l’Observatoire, 2023).
“La politique du doigt d’honneur”
Donald Trump repousse également les limites en matière de vulgarité. Lors d’un meeting à Latrobe, en Pennsylvanie, le 19 octobre, le républicain de 78 ans a ouvert son discours par une digression sur la star locale, Arnold Palmer (1929-2016), légende américaine du golf, en expliquant combien les autres golfeurs professionnels étaient impressionnés par l’appareil génital du champion. “Quand il prenait une douche avec les autres pros, ceux-ci s’exclamaient : ‘Oh mon Dieu, c’est incroyable'”, a déclaré le candidat à la Maison Blanche.
Dans le podcast The Dan Bongino Show diffusé la veille, Donald Trump avait aussi confié son étonnement que l’ancien magnat d’Hollywood Harvey Weinstein, condamné et incarcéré pour viol et agressions sexuelles, ait été “niqué”, utilisant le mot “schlonged”, un terme obscène faisant référence au pénis.
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En roue libre, il a également sous-entendu à plusieurs reprises que Kamala Harris avait bénéficié d’une accélération de carrière grâce à sa relation intime à l’époque avec l’ancien maire de San Francisco, Willie Brown, repostant même une vidéo suggérant que la démocrate avait passé une partie de sa vie à genoux, à pratiquer des fellations.
Et lors d’un meeting à Détroit, le 18 octobre, Donald Trump a enjoint ses militantes de dire à leur “gros porc de mari de se bouger du canapé et d’aller voter Trump”.
“Le nouveau Parti républicain est devenu avec Donald Trump le parti qui refuse le politiquement correct et qui repousse les limites de la bien-pensance, de ce qu’on peut dire ou de ce qu’on ne peut pas dire, et c’est quelque chose de très populaire”, observe Yascha Mounk.
“Cette stratégie a été appelée ‘la politique du doigt d’honneur’ et ça plaît effectivement à une partie de son électorat. Donald Trump ne fait pas une campagne classique au centre. Il cherche à motiver sa base et les abstentionnistes. Il s’adresse non pas à ceux qui hésitent entre lui et Kamala Harris, mais à ceux qui hésitent entre aller voter Trump ou rester à la maison. Et il estime que c’est ce type de langage qui pourra motiver ces électeurs”, souligne Jérôme Viala-Gaudefroy.
Une stratégie à double tranchant. Car à trop repousser les limites, Donald Trump pourrait aussi finir par rebuter les républicains modérés, alors que chaque voix comptera pour la présidentielle du 5 novembre.
AVEC France 24