Guerre en Ukraine : pourquoi Poutine officialise la présence des soldats nord-coréens

Le président russe, Vladimir Poutine, a reconnu, pour la première fois, que des soldats nord-coréens avaient participé aux combats dans la région de Koursk contre l’Ukraine. La fin d’un secret de Polichinelle qui intervient à un moment très opportun pour Moscou et Pyongyang qui signent, aux yeux du monde, une victoire militaire commune sur le front ukrainien.

Le président russe, Vladimir Poutine, a, pour la première fois, lundi 28 avril, officialisé la présence de soldats nord-coréens aux côtés de l’armée russe face aux Ukrainiens. © Studio graphique France Médias Monde

“Nous saluons l’héroïsme des soldats nord-coréens”. C’est avec emphase que le président russe Vladimir Poutine a reconnu, pour la première fois, lundi 28 avril, que des Nord-Coréens avaient combattu aux côtés de l’armée russe contre les Ukrainiens.

“Nos amis nord-coréens ont été motivés par leur sens de la justice, de la solidarité et de la camaraderie”, a ajouté le maître du Kremlin après avoir gardé le silence pendant des mois sur la présence des ces troupes étrangères.

Le sens du timing

La Corée du Nord a rebondi sur les déclarations du président russe, confirmant que des troupes nord-coréennes avaient participé à la libération de la région de Koursk en Russie. L’Ukraine avait pris Moscou par surprise, en août 2024, avec une offensive en territoire russe qui avait permis à l’armée ukrainienne d’occuper une partie de cette région frontalière au nord de Soumy.

Depuis quelques mois, les preuves se faisaient de plus en plus précises sur la présence de soldats nord-coréens chargés d’aider les Russes à repousser les Ukrainiens de l’autre côté de la frontière. Les services de renseignement sud-coréens et ukrainiens avaient même été très concis sur cette participation militaire de Pyongyang.

D’après ces informations, “il y a eu environ 14 000 soldats nord-coréens qui ont combattu aux côtés des forces russes, dont les unités d’élites des ‘Storm Corps’. Ces combattants ont participé à des opérations très risquées et ont subi de lourdes pertes”, résume Christoph Bluth, expert de la péninsule coréenne à l’université de Bradford, au Royaume-Uni.

Un déploiement considérable que Moscou et Pyongyang ont longtemps choisi de ne pas admettre. L’envie ne manquait cependant pas, surtout du côté de la Corée du Nord. Kim Jong-un, le leader nord-coréen “avait déjà demandé [fin 2024] aux troupes nord-coréennes déployées à l’étranger de faire preuve de résilience”, souligne Edward Howell, spécialiste de la Corée du Nord à l’université d’Oxford.

Une manière de reconnaître sans le dire que des soldats étaient présents sur le théâtre russo-ukrainien… puisqu’il n’y a aucun autre front au monde où il est question de présence militaire nord-coréenne.

Néanmoins, Moscou ne pouvait pas se permettre un tel aveu. “La Russie aurait eu l’air faible si elle avait reconnu avoir besoin de l’aide d’une puissance étrangère pour venir à bout de l’offensive ukrainienne à Koursk”, souligne Jeff Hawn, spécialiste de la Russie à la London School of Economics.

La situation a cependant changé. “Cette officialisation de la présence de soldats nord-coréens intervient juste après l’annonce par Moscou de la ‘victoire’ de la Russie sur l’Ukraine dans la région de Koursk.

C’est un moment particulièrement opportun pour la Russie et la Corée du Nord d’en parler car cela permet aux deux pays de présenter cette collaboration militaire comme un succès qui procure du prestige aux deux armées”, analyse Patrick Haasler, spécialiste des questions militaires russes pour l’International Team for the Study of Security (ITSS) Verona.

Même si l’Ukraine conteste avoir été boutée hors de Koursk, “c’est important en termes de récit de propagande de faire coïncider les deux annonces”, assure Alexander Lipke, spécialiste de la péninsule coréenne au Conseil européen des relations internationales (ECFR), l’un des principaux cercles de réflexion européen.

“Il aurait été beaucoup plus risqué de faire les mêmes déclarations il y a quelques mois lorsque l’issue des combats dans la région de Koursk était encore incertaine”, ajoute ce spécialiste. Une éventuelle victoire ukrainienne sur un front commun russo-nord-coréen aurait été catastrophique en termes d’image pour la Russie.

Sens du timing encore et toujours pour Vladimir Poutine qui fait cette annonce en plein ballet diplomatique sur les négociations de paix. Alors que le président américain, Donald Trump, met la pression sur Kiev et Moscou pour aboutir à un cessez-le-feu, le Kremlin fait ainsi savoir “aux Américains que la Russie n’est pas aussi pressée d’en finir avec les combats” car elle peut compter sur un réservoir de soldats dépêchés par Pyongyang.

“Vladimir Poutine veut ainsi signaler à la communauté internationale que la Russie a des alliés sur qui elle peut compter en temps de guerre”, souligne Jenny Mathers, spécialiste de la Russie à l’université d’Aberystwyth. “C’est une réalité que le président russe veut agiter sous le nez des Ukrainiens a un moment donné où Kiev peine à obtenir toutes les garanties des États-Unis, de l’ONU et de l’Europe”, précise Patrick Haasler.

Pour cette experte, la reconnaissance du soutien militaire nord-coréen peut aussi permettre de rassurer l’opinion publique russe. “Vladimir Poutine a toujours promis aux Russes que ce conflit aurait un impact aussi faible que possible sur leur quotidien. La présence dorénavant officielle de soldats nord-coréens peut rassurer certains Russes car à leurs yeux cela va réduire le risque d’être mobilisé sur le front”, explique Jenny Mathers.

Cadeau pour la propagande nord-coréenne

Vladimir Poutine a “peut-être aussi été poussé à reconnaître la présence des combattants nord-coréens par Pyongyang”, estime Jeff Hawn. La propagande du régime de Kim Jong-un en avait besoin. “Des rumeurs venues de la péninsule coréenne – donc difficile à vérifier – font état de pression sur les autorités de la part des familles des plus de 10 000 soldats nord-coréens à être partis pour la Russie.

Cet hommage officiel rendu par Vladimir Poutine permet au régime nord-coréen de présenter ces hommes comme des héros partis se battre aux côtés de l’allié russe”, souligne Alexander Lipke.

La Corée du Nord “perçoit aussi cette reconnaissance comme une manière de renforcer sa position à l’égard de la Russie”, ajoute l’expert de l’ECFR. Le Kremlin a, en effet, reconnu officiellement avoir eu besoin des troupes nord-coréennes pour “libérer” Koursk. De quoi donner des atouts à Pyongyang pour obtenir davantage de “cadeaux” de Moscou. “La raison pour laquelle la Corée du Nord a décidé de participer activement à ce conflit, c’est qu’elle s’attend à des transferts de technologie en matière balistique et de technologie militaire. Là, elle a encore plus d’arguments pour faire ses demandes à Moscou”, estime Edward Howell.

Pour cet expert, le pas franchi par Vladimir Poutine signifie surtout que “la relation entre les deux pays va durer au-delà du temps de la guerre en Ukraine et devrait encore se renforcer”.

L’hommage rendu aux soldats nord-coréens est une manière pour le président russe de reconnaître officiellement que les deux pays ont combattu côte à côte dans une guerre, “ce qui est une manière de graver dans le marbre l’importance de cette relation bilatérale”, note Edward Howell.

Il faut donc s’attendre “à une collaboration accrue entre les deux pays, y compris probablement lorsque la Russie aura besoin de se réarmer après la fin de la guerre en Ukraine”, prévient Alexander Lipke. Jeff Hawn estime ainsi qu’il devrait y avoir “de plus en plus d’ouvriers nord-coréens dans les usines à munitions en Russie”

L’axe Moscou-Pyongyang peut aussi se traduire par une présence accrue de soldats nord-coréens, même après la fin de la guerre avec l’Ukraine. Pour Alexandre Lipke, “le risque existe de voir des soldats envoyés par Pyongyang être déployés à la frontière russe avec des pays européens”.

En attendant ce scénario noir pour la sécurité européenne, cette officialisation de la présence des soldats nord-coréens offre une victoire politique à Pyongyang. Pour les experts interrogés par France 24, ce régime, qui mise notamment sur le militaire, a ainsi pu démontrer au monde “que ses troupes savent se battre dans une guerre moderne”. 

AVEC France 24

IZINDI NKURU

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