Le gouvernement de l’Autorité palestinienne (AP) a remis lundi sa démission au président Mahmoud Abbas. L’entité gouvernementale qui gouverne avec des pouvoirs limités en Cisjordanie occupée est vivement critiquée depuis le 7 octobre par les Palestiniens de l’intérieur pour son “impuissance” face à Israël à Gaza et en Cisjordanie occupée. Ce changement d’exécutif à venir semble être “un petit pas dans la bonne direction” en vue d’une réforme de l’AP, mais le chemin est encore long.
“J’ai présenté la démission du gouvernement à monsieur le Président (Mahmoud Abbas) le 20 février et je la remets aujourd’hui par écrit”. Voici ce qu’a déclaré solennellement, lundi 26 février au matin, le Premier ministre de l’Autorité palestinienne (AP) au moment de présenter la démission de l’exécutif palestinien.
Mohammed Shtayyeh a précisé que cette décision intervenait notamment compte tenu de la guerre dans la bande de Gaza et la situation en Cisjordanie occupée. “La prochaine étape requiert de nouvelles mesures gouvernementales et politiques qui tiennent compte de la nouvelle réalité dans la bande de Gaza (…), un besoin urgent d’un consensus interpalestinien”, a-t-il déclaré. Mahmoud Abbas a accepté lundi en fin de journée, chargeant Mohammed Shtayyeh d’assurer la transition jusqu’à la formation d’un nouveau gouvernement.
Depuis les élections parlementaires de 2006 remportées par le Hamas et des affrontements avec le Fatah en juin 2007, le leadership palestinien est divisé entre l’Autorité palestinienne, qui exerce un pouvoir limité en Cisjordanie – territoire occupé par Israël depuis 1967 – tandis que le Hamas contrôle la bande de Gaza.
Cette démission pourrait paraître inattendue dans un contexte de guerre entre Israël et le Hamas – en cours depuis près de cinq mois – mais les tensions internes semblent notamment avoir eu raison du gouvernement. “Les Palestiniens de l’intérieur – en Cisjordanie et à Gaza – ont adressé des critiques à l’Autorité palestinienne, l’accusant d’inertie et d’impuissance pour les protéger notamment face au nombre important d’arrestations en Cisjordanie (souvent sous la forme de détentions administratives, NDLR)”, explique Hasni Abidi, directeur du Centre d’études et de recherche sur le monde arabe et méditerranéen (Cermam) et auteur de “Le Moyen-Orient selon Joe Biden” (Éd. Erick Bonnier, 2021).
L’exécutif palestinien est, en effet, vivement critiqué depuis plusieurs mois au point de voir sa popularité baisser, alors que le Hamas semble gagner un soutien croissant de la population dans le même temps. Le mouvement islamiste palestinien est soutenu par 42 % de la population de Gaza (+4 points par rapport à avant la guerre) et 44 % de la population en Cisjordanie occupée (+32 points), selon un sondage réalisé fin 2023 par le Centre palestinien de recherche sur les politiques et les enquêtes (PSR). Et quelque 88 % des sondés au total (+10 points) souhaitent la démission de Mahmoud Abbas.
L’image de l’Autorité palestinienne est aussi écornée depuis des années par des accusations de corruption en son sein, au point qu’un activiste palestinien – Nizar Banat – qui la dénonçait avec force est mort sous les coups portés par les membres des forces de sécurité palestiniennes venues l’interpeller à son domicile, en juin 2021.
Réforme réelle ou esthétique de l’Autorité palestinienne ?
À cela s’ajoutent les critiques extérieures auxquelles le gouvernement palestinien doit aussi faire face. Des pays arabes dont le Qatar, des puissances occidentales ainsi que des opposants à Mahmoud Abbas plaident pour une Autorité palestinienne réformée chargée à terme de la Cisjordanie et de Gaza sous la bannière d’un État palestinien indépendant – une solution que refuse Israël.
“De ce point de vue, la démission du gouvernement palestinien est un petit pas dans la bonne direction”, relève le politologue spécialiste du monde arabe. Même son de cloche pour l’analyste palestinien Ghassan Khatib, qui estime auprès de l’AFP qu’avec cette décision, “Mahmoud Abbas veut montrer au médiateur qu’il est prêt aussi à aller dans cette voie” d’une réforme de l’AP.
Cette réforme avait déjà été au centre de discussions entre le président de l’Autorité palestinienne et le secrétaire d’État américain, Antony Blinken, lors de sa visite à Ramallah le 10 janvier. Lors de cette réunion, le chef de la diplomatie avait déclaré avoir parlé avec Mahmoud Abbas de “l’importance de la réforme de l’Autorité palestinienne, de sa politique et de sa gouvernance, afin qu’elle puisse effectivement assumer la responsabilité de Gaza, et que Gaza et la Cisjordanie puissent être réunifiées sous une direction palestinienne”.
Mahmoud Abbas avait, ensuite, initié fin janvier de multiples réformes comme des changements dans le recrutement des forces de sécurité palestiniennes, une restructuration du secteur de la santé ou encore la nomination de nouveaux magistrats au sein de la Cour suprême administrative palestinienne. Mais plusieurs experts interrogés par le journal The Times of Israël y ont vu “des mesures esthétiques visant à apaiser l’administration américaine et la communauté internationale.”
C’est aussi de cette manière-là qu’est perçue la démission du gouvernement de l’Autorité palestinienne par Khalil Shikaki, directeur du Centre de recherche palestinien sur la politique et les sondages (PCPSR), un institut indépendant de Ramallah. “Mahmoud Abbas veut montrer au monde qu’il est prêt à faire des changements (…) mais la seule vraie réforme serait qu’il rentre chez lui”, estime-t-il auprès de l’AFP, soulignant que quiconque succèdera à l’exécutif actuel “sera forcé d’être loyal” au président palestinien car ce dernier dirige “comme un one-man show”.
“L’Autorité palestinienne ne veut pas être exclue des plans de l’après (guerre à) Gaza”
Ce remaniement gouvernemental à venir pourrait, cependant, concrétiser l’ouverture de l’exécutif palestinien à d’autres tendances que celles du Fatah de Mahmoud Abbas. Selon Ghassan Khatib, le nouveau leadership palestinien pourrait inclure des éléments politiques issus à la fois de l’AP et du Hamas. Le mouvement islamiste palestinien ne semble d’ailleurs pas insensible à cette perspective, comme l’a déclaré à Reuters un de ses responsables, Sami Abou Zouhri : “La démission du gouvernement Shtayyeh n’a de sens que si elle intervient dans le contexte d’un consensus national sur les dispositions pour la prochaine phase.”
Pour Hasni Abidi, il semblerait d’ailleurs logique que l’Autorité palestinienne s’ouvre un peu plus : “Gaza est gouvernée depuis 2007 par le Hamas, donc il n’est pas normal que l’Autorité palestinienne ne s’élargisse pas. Après il faudra voir la feuille de route décidée pour qu’il y ait un changement politique.”
Finalement, c’est bien du jour d’après à Gaza dont il est question avec la démission de l’exécutif palestinien. Washington semble être le seul allié fort d’Israël en mesure de mettre en avant – sous condition de changement – l’Autorité palestinienne pour une gouvernance future de la bande de Gaza, et ce malgré la ferme opposition de l’État hébreu.
Le nom du futur Premier ministre évoqué pour succéder à Mohammed Shtayyeh pourrait d’ailleurs satisfaire les États-Unis : il s’agit de Mohammad Mustafa, un économiste diplômé de l’université de Georgetown à Washington qui a aussi travaillé pendant quinze ans à la Banque mondiale. L’homme âgé de 69 ans est actuellement directeur du Fonds d’investissement palestinien et conseiller principal de Mahmoud Abbas pour les affaires économiques. “Un profil ‘rassurant’ pour les Américains”, selon Les Échos.
Les États-Unis, qui ont refusé de commenter directement la démission du gouvernement palestinien, ont salué lundi soir “les mesures prises par l’Autorité palestinienne pour se réformer et se revitaliser”. “Ces mesures sont positives (…), elles constituent une étape importante vers la réunification de la bande de Gaza et de la Cisjordanie sous l’égide de (l’AP)”, a ajouté le porte-parole du département d’État, Matthew Miller.
“L’Autorité palestinienne se projette parce qu’elle ne veut pas être exclue des plans de l’après (guerre à) Gaza”, conclut Hasni Abidi. “Mais aujourd’hui, la priorité des Palestiniens, c’est d’avoir un cessez-le-feu, une certaine sécurité, d’essayer de rester en vie et de manger à leur faim. Une fois que la paix sera revenue, on pourra parler des réformes et aussi d’élections générales.”
SOURCE: FRANCE 24